EDO 19 et EDO 22

Un peu plus tôt, nous avons écrit que les divisions de l’octave en 16, et surtout en 19 et 22 parties égales, permettaient aussi d’approcher les intervalles consonants de manière satisfaisante. Nous allons maintenant explorer des échelles modulantes exotiques extraites des EDO 19 et 22, divisions qui ont à la fois de très bonnes quintes et de très bonnes tierces majeures.

Le nombre d’échelles modulantes possibles étant assez élevé (de l’ordre d’une trentaine pour chaque division), nous avons dû faire des choix, sur des critères parfois subjectifs. L’EDO 19 s’est révélée bien plus riche en échelles modulantes comportant des consonances.

Voir les échelles retenues

ÉchelleSchéma
19.a1–1–8–1–8
19.b1–1–5–1–5–1–5
19.c1–1–1–4–1–1–4–1–1–4
19.d1–4–1–4–1–4–4
19.e1–1–3–1–1–3–1–1–3–1–3
19.f1–3–3–3–3–3–3
19.g2–3–3–2–3–3–3
19.h2–2–2–2–11
19.i2–2–2–2–2–9
19 parties (1/3)
ÉchelleSchéma
19.j2–2–2–2–2–2–7
19.k2–2–2–2–2–2–2–5
19.l2–2–2–2–2–2–2–2–3
19.m1–2–2–2–2–2–2–2–2–2
19.n1–1–1–1–1–5–1–1–1–1–5
19.o1–2–2–1–2–2–2–1–2–2–2
19.p1–2–1–2–1–2–2–1–2–1–2–2
19.q1–1–1–1–1–1–4–1–1–1–1–1–4
19.r1–1–1–1–3–1–1–1–3–1–1–1–3
19 parties (2/3)
ÉchelleSchéma
19.s1–1–2–1–2–1–2–1–2–1–2–1–2
19.t1–1–2–1–1–2–1–1–2–1–1–2–1–2
19.u1–1–1–1–1–1–1–3–1–1–1–1–1–1–3
19.v1–1–1–2–1–1–1–2–1–1–1–2–1–1–2
19.w2–5–2–5–5
19.x2–2–3–2–2–3–2–3
19 parties (3/3)
ÉchelleSchéma
22.a3–3–3–3–10
22.b3–3–3–3–3–7
22.c3–3–3–3–3–3–4
22.d1–3–3–3–3–3–3–3
22.e2–2–3–2–3–2–3–2–3
22.f1–1–3–1–3–1–1–3–1–3–1–3
22 parties

Nous avons aussi adopté un nouveau système de classement : ci-dessous, nous réunissons les échelles issues d’une même EDO (19 ou 22), mais aussi celles qui fonctionnent d’une manière similaire.

Affinité avec l’intervalle de quarte augmentée

L’échelle suivante divise l’octave en 2 très grands intervalles égaux (et 3 petits). Cette répartition divise l’octave en deux agrégats de 2 et 3 sons, ce qui a pour effet de grouper les hauteurs approximativement suivant une quarte augmentée (laquelle correspond à la partition de l’octave en deux parties égales). Cet intervalle s’entend bien à l’oreille lorsque l’échelle est jouée ; il « tourne » lentement au cours des modulations successives.

Dans le schéma ci-dessous, le polygone coloré représente l’échelle, avec ses cinq sons groupés aux deux pôles de l’octave. Les intervalles « 1 » sont les trois petits côtés du polygone (deux en bas et un en haut), et les intervalles « 8 » ses deux grands côtés (sur la gauche et la droite). La direction moyenne de la quarte augmentée que cette échelle fait entendre est indiquée en pointillés.

Échelle 19.a : 1–1–8–1–8

Affinité avec l’accord de quinte augmentée

Les deux échelles suivantes comportent chacune 3 grands intervalles égaux (et 4 ou 7 petits). Cette répartition divise l’octave en trois agrégats de quelques sons, ce qui a pour effet de grouper les hauteurs approximativement suivant un accord de quinte augmentée (lequel correspond à la partition de l’octave en trois parties égales). Cet accord s’entend lui aussi très bien. Il subit une lente rotation lors des modulations, en sens inverse de la translation des hauteurs (moduler d’une note vers le haut tourne l’accord d’un dix-neuvième d’octave vers le bas). Ci-dessous, on peut observer les deux échelles sous forme de polygones, et l’accord résultant en pointillés.

Échelle 19.b : 1–1–5–1–5–1–5

Échelle 19.c : 1–1–1–4–1–1–4–1–1–4

Affinité avec l’accord de septième diminuée

Ces deux échelles comportent chacune 4 grands intervalles égaux (et 3 ou 7 petits). Cette répartition divise l’octave en quatre agrégats de quelques sons, ce qui a pour effet de grouper les hauteurs approximativement suivant un accord de septième diminuée (lequel correspond à la partition de l’octave en quatre parties égales). Cet accord s’entend bien, même s’il est plus diffus dans la seconde échelle à cause du fort remplissage de l’espace harmonique. Il subit là aussi une transposition moyenne d’un dix-neuvième d’octave vers le bas à chaque modulation ascendante. Sur les schémas, l’accord de septième diminuée apparaît comme un carré.

Échelle 19.d : 1–4–1–4–1–4–4

Échelle 19.e : 1–1–3–1–1–3–1–1–3–1–3

Affinité avec la gamme par tons

La dernière échelle possédant une affinité sonore avec un accord identifiable comporte 6 grands intervalles égaux (et 1 petit). Cette répartition divise l’octave en six zones : cinq qui comportent une unique hauteur, et une avec deux hauteurs proches. Cela groupe les sons suivant une gamme par tons approximative (laquelle correspond à la partition de l’octave en six parties égales). Sa sonorité est bien identifiable à l’oreille ; cependant, c’est le propre de l’EDO 19, les tierces majeures sont bien plus justes que dans la gamme par tons tempérée traditionnelle. Ci-dessous, on peut observer la gamme par tons (schématisée comme un hexagone régulier en pointillés) et l’échelle 19.f qui s’en approche de très près.

Échelle 19.f : 1–3–3–3–3–3–3

Substitut de l’échelle diatonique usuelle

Cette échelle reproduit la succession de petits et de grands intervalles de la gamme diatonique habituelle, mais ceux-ci entretiennent un rapport 3:2 (contre 2:1 sur les touches blanches d’un piano). Dans cette configuration, l’échelle diatonique reste parfaitement reconnaissable ; cependant les tierces majeures sont plus justes, et les modulations successives reviennent sur la disposition initiale au bout de 19 étapes (contre 12 dans le cycle des quintes classique).

Échelle 19.g : 2–3–3–2–3–3–3

Échelles basées sur l’intervalle 2/19

Les six échelles de cette famille sont basées sur une succession de petits intervalles mesurant 2 divisions (un gros demi-ton), complétée par un autre intervalle. À cause de la nature spéciale de l’EDO 19, cette construction fait apparaître de nombreux intervalles justes (tierces majeures, quartes et quintes). Pour cette raison, elles sont consonantes, surtout si elles sont utilisées musicalement d’une façon qui met en valeur leurs intervalles justes.

Échelle 19.h : 2–2–2–2–11

Échelle 19.i : 2–2–2–2–2–9

Échelle 19.j : 2–2–2–2–2–2–7

Échelle 19.k : 2–2–2–2–2–2–2–5

Échelle 19.l : 2–2–2–2–2–2–2–2–3

Échelle 19.m : 1–2–2–2–2–2–2–2–2–2

Échelles dissonantes par abondance de petits intervalles

Les neuf échelles suivantes comportent beaucoup de hauteurs, et beaucoup d’intervalles mesurant seulement 1 division (soit un petit demi-ton). Pour cette raison, malgré les nombreux rapports consonants qu’elles permettent, elles sont dissonantes lorsque leurs hauteurs sont jouées simultanément.

Échelle 19.n :
1–1–1–1–1–5–1–1–1–1–5

Échelle 19.o :
1–2–2–1–2–2–2–1–2–2–2

Échelle 19.p :
1–2–1–2–1–2–2–1–2–1–2–2

Échelle 19.q :
1–1–1–1–1–1–4–1–1–1–1–1–4

Échelle 19.r :
1–1–1–1–3–1–1–1–3–1–1–1–3

Échelle 19.s :
1–1–2–1–2–1–2–1–2–1–2–1–2

Échelle 19.t :
1–1–2–1–1–2–1–1–2–1–1–2–1–2

Échelle 19.u :
1–1–1–1–1–1–1–3–1–1–1–1–1–1–3

Échelle 19.v :
1–1–1–2–1–1–1–2–1–1–1–2–1–1–2

Ovnis consonants au sein de l’EDO 19

Les deux échelles suivantes, composées de 5 et 8 hauteurs respectivement, ne sonnent comme aucun accord connu dans la musique occidentale et n’ont pas de schéma de construction évident.

Des substituts optimaux aux échelles usuelles ?

De toutes les échelles proposées dans cet article, les échelles 19.w et 19.x sont celles que leurs propriétés rendent les plus semblables aux échelles pentatonique et diatonique usuelles :

  • comme elles, elles vérifient tous les critères simples proposés au début de cet article (nombre de hauteurs, caractère octaviant, irrégularité suffisante, non périodicité, caractère conjoint mais suffisamment disjoint, redondance intervallique, construction par délétion, et bien sûr caractère modulant) ;
  • comme elles, elles font apparaître une quantité record d’intervalles consonants ;
  • enfin, de même que l’échelle pentatonique usuelle peut être vue comme un sous-ensemble de l’échelle diatonique (do–ré–mi–sol–la fait partie de do–ré–mi–fa–sol–la–si), l’échelle 19.w peut être jouée au sein de l’échelle 19.x.

Toutes ces raisons font que ces deux échelles ont un intérêt musical certain et représentent d’excellents candidats pour servir d’alternatives aux échelles usuelles. Peut-être, dans notre recherche d’exoplanètes musicales, avons-nous enfin trouvé un monde lointain habitable et semblable à la Terre ?

Échelle 19.w : 2–5–2–5–5

Échelle 19.x : 2–2–3–2–2–3–2–3

Échelles basées sur l’intervalle 3/22

Les quatre échelles de cette première famille issue de l’EDO 22 sont basées sur une succession de petits intervalles mesurant 3 divisions (soit un intervalle situé entre le demi-ton et le ton), complétée par un autre intervalle. À cause de la nature spéciale de l’EDO 22, cette construction fait apparaître de nombreux intervalles justes (quartes, quintes et quelques tierces majeures). Pour cette raison, elles sont consonantes, surtout si elles sont utilisées musicalement d’une façon qui met en valeur leurs intervalles justes.

Échelle 22.a : 3–3–3–3–10

Échelle 22.b : 3–3–3–3–3–7

Échelle 22.c : 3–3–3–3–3–3–4

Échelle 22.d : 1–3–3–3–3–3–3–3

Ovnis consonants au sein de l’EDO 22

Ces deux dernières échelles, à 9 et 12 hauteurs respectivement, ne ressemblent à aucun accord connu dans la musique occidentale et n’ont pas de schéma de construction évident. Elles font apparaître une belle quantité d’intervalles consonants. Cela est particulièrement remarquable pour l’échelle 22.f, qui parvient à une forme de consonance même lorsque ses 12 hauteurs sont jouées simultanément et malgré ses nombreux petits intervalles.

Échelle 22.e : 2–2–3–2–3–2–3–2–3

Échelle 22.f : 1–1–3–1–3–1–1–3–1–3–1–3

Après 12, 19, 22 et 31 : 53 !

Citons enfin le cas de la division de l’octave en 53 parties égales. Évoquée par Schoenberg dans son Traité d’harmonie, elle correspond à la plus parfaite correspondance avec les intervalles justes parmi les « petites » EDO : les quintes, les tons et les tierces majeures y sont extrêmement justes (tous exacts environ au centième de demi-ton près) ; même les septièmes harmoniques présentent seulement une erreur minime de 5 centièmes.

Cette division, que l’on peut considérer comme idéale du point de vue de la précision des intervalles harmoniques, pose évidemment le problème de la jouabilité. Elle divise chaque ton traditionnel en environ 9 parties ! Quand on sait les difficultés qui interviennent lorsqu’il s’agit de réaliser ne serait-ce que des quarts de tons sur un instrument (voir la fin de l’article Écrire pour les cordes), ou le temps nécessaire pour accorder un clavecin normal, on comprend qu’une telle division ne peut être utilisée que dans le cadre de la musique électronique, ou à la limite sur des instruments expérimentaux à sons fixes comme des orgues ou pianos modifiés.

La recherche exhaustive d’échelles modulantes dans ce contexte ne donne que deux échelles contenant des intervalles justes, toutes deux à 7 hauteurs.

Voir les échelles

ÉchelleSchéma
53.a3–11–3–11–3–11–11
53.b7–8–7–8–7–8–8
Échelles à 7 sons parmi 53

Ces deux échelles à 7 sons présentent de nombreuses consonances. Elles ont la même succession de petits et grands intervalles (a–B–a–B–a–B–B), différente de celle du schéma diatonique. Partageant le même schéma, elles se distinguent seulement par leur ratio grand intervalle / petit intervalle. La première possède une organisation à 4 grands intervalles (et 3 bien plus petits) qui fait entendre un accord de septième diminuée ; avec son alternance quasi régulière de petits et grands intervalles, elle possède aussi une certaine analogie auditive avec le mode II de Messiaen, lui aussi lié à l’accord de septième diminuée. La seconde, avec ses deux types d’intervalles de tailles très proches, représente une division quasi régulière de l’octave en 7 parties (proche donc de l’EDO 7), dans laquelle les hauteurs sont magiquement réajustées pour faire apparaître des consonances.

Échelle 53.a : 3–11–3–11–3–11–11

Échelle 53.b : 7–8–7–8–7–8–8

Quelques mots sur le rôle musical de la modulation

Après ce tour d’horizon des échelles modulantes constructibles au sein des divisions consonantes de l’octave, penchons-nous de nouveau un instant sur l’intérêt musical de la modulation. Nous avons écrit plus haut que le caractère modulant d’une échelle permettait de changer de ton au cours d’un même morceau, de manière économique (1 changement de hauteur par transposition) et cohérente (chaque nouvelle configuration scalaire est fortement corrélée à la précédente). Que pouvons-nous en dire de plus au terme de cette recherche ?

Si les modes et échelles de notes sont un concept musical universel, la plupart des musiques pratiquées autour du monde sont en revanche exemptes de modulations au sens où nous l’entendons dans cet article. Un morceau peut être entièrement construit sur une échelle unique, le développement d’un discours musical se passant de tout changement harmonique. Si des modifications d’échelles interviennent, elles ont alors lieu entre un morceau et le suivant. Si l’échelle sur laquelle est jouée la musique est fixe, cela peut indiquer que le paramètre des hauteurs est secondaire dans le discours musical, par exemple au profit du rythme ; cependant dans bien des cas, le mode utilisé peut au contraire revêtir une importance extrême, toute la richesse de son utilisation tenant dans la manière dont sont explorées ses possibilités intervalliques ou harmoniques. Ainsi, bien des styles musicaux ont développé des moyens propres pour exploiter pleinement les possibilités offertes par un mode fixe : degrés mobiles, ornementations, etc.

La modulation, vue comme un moyen de varier l’échelle employée

  1. au cours d’un même morceau,
  2. en parcourant un cycle ou une portion de cycle, et
  3. d’une façon qui établit la subordination à une transposition principale de transpositions inféodées à elle et avec qui elle entretient des liens hiérarchiques,

est donc, jusqu’à preuve du contraire, une spécificité de la musique occidentale des derniers siècles.

Dans les styles dits baroque, classique et romantique, la modulation a un rôle de structuration du temps musical, et ce, à plusieurs échelles temporelles :

  • Les enchaînements harmoniques, qui interviennent entre quelques fois par mesure et une fois toutes les quelques mesures, sont principalement régis par les modulations proches dans le cycle des quintes ;
  • Il en va de même, à l’échelle de quelques mesures, du développement des phrases, qui se fait couramment dans des tonalités proches (antécédents et conséquents, entrées successives d’un sujet de fugue) ;
  • Les sections musicales sont en général portées et délimitées par une succession d’emprunts et de modulations locales ;
  • Le mouvement complet est souvent organisé dans une forme hiérarchique avec retour impliquant un éloignement puis un retour à la transposition de l’échelle initiale (alors qualifiée de « tonalité » de la pièce – voir la forme baroque avec reprise ou encore la forme sonate) ;
  • Les tonalités des mouvements d’une même œuvre, ou celles des œuvres successives d’un même cycle, sont en général régies par les mêmes règles, avec une tonalité principale, dont on s’éloigne pour y revenir.

Ainsi, les concepts de transposition et d’échelles modulantes irriguent ces styles musicaux de toute part. À chacune des échelles temporelles considérées, ils sont mis en pratique de façon fortement hiérarchique, ce qui peut d’ailleurs surprendre étant donnée la nature cyclique et a priori ahiérarchique de ce système.

Cependant, les échelles modulantes ont des propriétés assez fortes pour prendre en charge bien d’autres réalisations musicales. Si on choisit de les utiliser dans le cadre de créations contemporaines (que ce soit avec le système modulant diatonique traditionnel ou avec l’une des autres échelles explorées ci-dessus), bien d’autres usages peuvent être envisagés.

Il est ainsi possible de se limiter à un petit nombre de transpositions d’une même échelle modulante proches entre elles, par exemple pour fournir à une pièce un environnement harmonique cohérent sans rester constamment sur une échelle fixe. L’usage de la modulation peut alors prendre la forme d’une oscillation entre une ou plusieurs transpositions.

Une autre possibilité intéressante est d’abandonner toute hiérarchie entre les différentes transpositions, et de concevoir des sections musicales sur la base d’un parcours circulaire du cycle des modulations. C’est l’approche qui a été utilisée pour générer les exemples algorithmiques donnés à entendre dans cet article.

En conclusion

Mon travail, qui s’inscrit dans la continuité de plusieurs siècles de recherches théoriques et pratiques sur les modes et leurs tempéraments, ne fait que systématiser avec l’aide de l’ordinateur la recherche d’univers harmoniques respectant des critères éprouvés d’intérêt musical. J’ai respecté ces critères, certes pour certains issus du bon sens et de la physique, mais qui sont tout autant les fruits de notre histoire musicale : ainsi, tout ce que ma recherche aura pu amener de nouveau n’aura fait qu’explorer systématiquement les confins d’un cercle circonscrit tracé par les anciens.

Nouvelle validation de la fertilité du parallèle entre mathématiques et musique, nouvelle mise en pratique de la connexité entre recherche théorique et pratique compositionnelle, cette exploration permet en plusieurs endroits de refaire l’expérience sensible de concepts abstraits, ou à l’inverse d’abstraire de préférences et sensations concrètes et subjectives des considérations théoriques pouvant servir de bases à des recherches théoriques.

Ce qui saute aux yeux après cette exploration des échelles possibles est peut-être la formidable perfection atteinte par les deux systèmes tonals traditionnels – l’un pleinement exploité pendant des siècles de musique occidentale, l’autre bien moins usité en tant que système modulant – que sont les systèmes tonals diatonique et pentatonique au sein de l’octave divisée en 12 parties égales. Assez économe en hauteurs différentes pour permettre un nommage mnémotechnique de tous les degrés et une lutherie aisée, parvenant toutefois à approcher de près les principaux intervalles justes, ce système est un compromis optimal entre facilité de mise en œuvre et potentiel musical.

Toutefois, la (tout à la fois fastidieuse et passionnante) recherche exhaustive d’échelles modulantes permet d’exhiber quelques perles qui n’ont, semble-t-il, ni émergé spontanément dans les musiques traditionnelles, ni été découvertes par les personnes qui ont travaillé théoriquement sur les modes et leurs consonances. Ces nouvelles échelles demandent à être explorées, et pourront faire l’objet d’un travail de lutherie (physique ou électronique), d’improvisation, de composition, et surtout d’écoute – elles méritent que nous leur ouvrions nos oreilles, habituées à une plage restreinte de l’immense champ des possibles musicaux.

En savoir (encore) plus

La question des échelles modulantes exotiques ne semble pas avoir été souvent traitée, ni à plus forte raison utilisée par des musiciens. En revanche, les divisions égales de l’octave, leurs capacités à approcher les intervalles justes, et leurs qualités musicales, font l’objet de nombreuses recherches théoriques et musicales depuis des siècles.

Voici quelques sujets en lien avec cet article, pour approfondir la question ou la considérer sous d’autres angles. Les liens redirigent vers les pages Wikipedia correspondantes en anglais.

  • Tempérament égal. Cette page traite des divisions égales de l’octave. On peut y visualiser l’approche des intervalles justes par les différents EDO sous forme graphique, y apprendre que le tempérament égal que nous connaissons a été inventé par Zhu Zaiyu en 1584 (et qu’il a calculé le ratio de fréquences entre deux notes au demi-ton avec une précision de 25 décimales en utilisant un boulier), ou encore y comparer les caractéristiques de toutes sortes d’EDO non traitées dans notre article.
  • EDO 19, 22, 31 et 53. Ces pages sont de précieuses sources d’informations sur les caractéristiques propres de chacune des divisions égales de l’octave. On y apprend notamment que certaines « petites » EDO peuvent être notées facilement en utilisant le solfège standard, grâce à l’astuce qui consiste à redéfinir do dièse et ré bémol comme deux notes successives de l’échelles (et ainsi de suite avec les notes enharmoniques suivantes). D’autres EDO sont listées en bas de chaque page dans la rubrique « Microtonal music ».
  • Gammes α, β, γ et δ. Ces échelles inventées par Wendy Carlos (page en français) sont constituées d’intervalles égaux, contiennent de nombreux intervalles justes, mais ne sont pas octaviantes ! Elles sacrifient donc les octaves au profit des autres intervalles harmoniques – un compromis ingénieux et musicalement probant. Écouter les deux premières échelles dans son œuvre Beauty In The Beast (écouter ici).
  • Gamme de Bohlen–Pierce. Cette échelle n’est pas non plus octaviante : elle propose une division en 13 parties égales de la « tritave » (néologisme signifiant dans ce contexte 1 octave + 1 quinte juste, soit la deuxième harmonique au lieu de la première). Elle offre un système tonal alternatif avec des modulations et des accords parfaits de substitution basés sur les harmoniques impaires.

Ailleurs sur antoinegabrielbrun.com, l’article Fréquence des notes de la gamme : tables et outil de calcul en ligne traite d’un sujet connexe, le calcul des fréquences au sein de l’EDO 12 usuel.