Écriture pour les cordes : mémo pour éviter les pièges les plus courants
En tant que compositeur ou arrangeur, vous avez probablement souvent à écrire pour des instruments à cordes. Si vous n’avez jamais touché un violon et voulez éviter de vous faire griller, cet article est fait pour vous !
Que ce soit en relisant des compositions et arrangements écrits par des collègues, ou en jouant des créations au violon, j’ai remarqué que tout le monde ou presque faisait les mêmes petites erreurs. L’écriture pour les cordes est loin d’être simple pour un pianiste ou un trompettiste ! Ces imprécisions d’écriture sautent tout de suite aux yeux des instrumentistes à cordes lorsqu’ils ouvrent votre partition, et vous risquez fort de perdre tous vos jetons avant même qu’ils n’aient joué une seule note.

Cet aide-mémoire liste les erreurs les plus fréquentes, celles qui font dire aux interprètes : « Il ne sait pas écrire pour violon ! ». Je commence par les erreurs courantes à éviter absolument ; viennent ensuite des conseils plus avancés. L’article se termine sur quelques bonus (les petits plus qui devraient vous attirer l’estime et les faveurs de vos interprètes…) et des remarques spécifiques à la musique contemporaine.
Dans cet article : pizzicati – harmoniques – tonalités – liaisons – doubles cordes – accords – clés –sourdines – virtuosité – divisi – modes de jeu – quarts de tons – scordatura…
Niveau zéro – Comment ne pas se faire griller directement
Nous haïssons le sol bémol mineur
• Peut-être transcrivez-vous une pièce pour piano avec six dièses à la clé, êtes-vous en train de relever un morceau de pop en do bémol, ou encore trouvez-vous que seule la tonalité de mi bémol mineur peut rendre la nostalgie douloureuse qui traverse votre dernière composition.
• Cependant, pensez-y à deux fois avant de confier à des instruments à cordes une armure comportant plus de quatre dièses ou quatre bémols.

En effet, la sonorité des instruments à cordes est beaucoup plus résonante lorsque des cordes à vide vibrent par sympathie sur certaines des notes de la gamme. Sur un violoncelle, en do majeur les quatre cordes à vide peuvent vibrer… en mi majeur une seule, en si majeur ou en sol bémol majeur aucune.
Les tonalités qui sonnent le plus facilement sont celles dont la tonique est une corde à vide. On pourra avec profit s’intéresser aux tonalités choisies par J.-S. Bach pour ses Sonates et Partitas pour violon…
Envisagez donc toujours la possibilité de transposer votre morceau si cela peut aider les cordes à bien sonner.
• Au problème de la sonorité s’ajoute celui de la lecture. Une répétition d’orchestre peut devenir un calvaire pour un bémol de trop à la clé. Pour la lecture, le maximum habituel d’un cordiste moyen est aussi de quatre altérations à la clé, que l’on peut mener à cinq ou six seulement pour un mouvement assez lent. Signalons en passant qu’un si dièse grave peut encore laisser un altiste ou un violoncelliste démuni : la position visuelle de la note la plus grave de son instrument (à droite) est si ancrée…

• Si pour une raison ou une autre vous optez malgré tout pour une tonalité périlleuse (Strauss ou Wagner ne s’en privent pas), la moindre des choses est d’en être conscient. Envisagez sérieusement d’indiquer systématiquement des altérations de précaution sur les notes les plus altérées : les instrumentistes ne s’en plaindront pas.

Prenez 10 minutes et apprenez une fois pour toutes l’écriture des harmoniques
• Les harmoniques sont source de tellement de confusions (« Mesure 7, ça doit faire quelle note ? ») que la question fait l’objet d’une page dédiée dans la catégorie Ressources. Prenez donc dix minutes pour lire le mémo sur les harmoniques des cordes… ou renoncez aux harmoniques à jamais !

Mettez des liaisons partout
• Le piètre arrangeur se reconnaît de loin : sa partition pour violon ne comporte aucune liaison. Rappelons que lorsqu’un instrumentiste à cordes voit une mélodie sans liaisons, il joue tout détaché, avec un résultat haché et mal phrasé.
• L’autre erreur commune consiste à écrire de longues liaisons de phrasé comme on le ferait pour un instrument à vent. Les instruments à cordes ne comprennent que la liaison d’archet : chaque lié représente un changement de direction. Une liaison trop longue sera probablement coupée par l’interprète, mais la notation reste inadaptée. Redit autrement : aux cordes, n’utilisez jamais les liaisons pour indiquer un phrasé.

Cela peut se discuter à l’orchestre : une liaison longue peut indiquer que sur la phrase concernée, chacun des instrumentistes d’un pupitre coupe où bon lui semble sans s’occuper des autres.
• Des années de pratique permettent au cordiste de transcrire sans avoir à y penser les liaisons qu’il lit sur la partition en coups d’archets. N’arrêtez jamais d’écrire les liaisons sous prétexte qu’elles suivent un motif fixe, même en écrivant « simile », car l’interprète aurait alors un effort à faire pour contrer son réflexe de jouer détaché. En résumé et comme l’indique le titre : mettez des liaisons partout.

Ne refaites plus jamais ça
• Les instrumentistes à cordes trouvent déplaisant de lire une double corde dont les deux notes ne peuvent être jouées que sur la même corde. Leurs doigts se dirigent spontanément vers les deux notes en question, et dix millisecondes plus tard suit une puissante frustration : les deux notes ne peuvent pas être jouées en même temps ! Les musiciens qui n’ont jamais touché à un violon peuvent se représenter la chose comme essayer de marcher avec les deux jambes dans la jambe gauche du pantalon.
• Ce cas déplaisant se produit généralement quand le compositeur ou l’arrangeur demande de jouer simultanément deux notes qui sont plus basses que la deuxième corde la plus grave de l’instrument.

• Hors de ce cas de figure, tous les intervalles peuvent être joués en doubles cordes entre le demi-ton et (au moins) l’octave. Les violonistes vont jusqu’aux dixièmes, même si peu savent apprécier cet exercice d’étirement.
Finissez par une relecture spécifique pizz. et sourdine
À la fin de votre travail, reprenez chaque partie séparée de cordes en traquant les indications « pizz. », « arco », « con sord. » et « senza sord. ». Sauf si vous venez d’écrire un opéra, vingt secondes devraient vous suffire pour faire les trois vérifications suivantes :
• Aucune de ces indications n’a été oubliée, en particulier aux reprises.

• L’instrumentiste ne verra jamais « arco » alors qu’il est déjà en train de jouer à l’archet, ou « pizz. » alors qu’il est déjà en train de jouer en pizz. (cela se produit souvent à cause des copier-coller dans les logiciels d’édition musicale). Cette sensation est tout à fait désagréable, comme de voir le panneau « 70 – rappel » alors que vous roulez à 130 depuis vingt minues.

• L’instrumentiste a le temps nécessaire pour passer de pizz. à arco et d’arco à pizz. (il faut environ un quart de seconde) ; idem pour mettre et enlever sa sourdine (environ deux secondes, ou une seconde pour les athlètes). Les temps indiqués sont les minimums, une mesure de pause est la bienvenue.

Comble de raffinement, lorsqu’un passage qui a été joué en pizz. est plus tard rejoué arco, on peut indiquer « (arco) » pour signaler que le changement de mode de jeu est voulu et non pas dû à un oubli de copiste – de même dans l’autre sens et pour la sourdine.

Niveau 1 – Mieux écrire
Tout le monde veut jouer le thème
• Dans son traité Étude de l’orchestration, le compositeur Samuel Adler évoque plaisamment la fierté que ressent l’altiste lorsque, au beau milieu d’un quatuor de Haydn, lui est subitement confié un thème.

• Mieux écrire pour des cordes jouant en ensemble (quatuor, orchestre…) passe par le fait de varier le plus possible le rôle confié à chaque partie. Violoncelle et contrebasse ne sont pas obligés de jouer toujours la ligne de basse ; la contrebasse sait se servir de son archet ; l’ego du 1er violon survivra si ce dernier ne joue pas le thème pendant quatre mesures ; le 2nd violon est capable de monter dans l’aigu ; l’alto peut jouer la voix principale, etc.
• Quelques réflexes : en quatuor, pensez à échanger régulièrement 1er et 2nd (pour quelques notes, à une reprise…) Pensez à confier la mélodie, ou une partie de la mélodie, à n’importe quel instrument à cordes. N’hésitez pas à faire parfois passer l’alto ou même les violons sous le violoncelle. Variez l’octave à laquelle joue chaque instrumentiste, et faites-lui user également ses quatre (cinq) cordes.
Pizz. : oubliez les liaisons
• Une liaison au-dessus d’une mesure en pizzicato… et vous être grillé ! Pour l’instrumentiste à cordes, la liaison n’est pas un phrasé mais évoque directement un coup d’archet. Tôt ou tard vous devrez répondre à la question : « Mesure 8, c’est bien en pizz. ?? »

• Si vous tenez absolument à indiquer un phrasé sur des pizzicati, vous pouvez utiliser les liaisons pointillées. Cela n’est pas habituel mais est clair pour tout le monde.

• Cette règle souffre une exception : lorsque plusieurs pizz. sont réalisés avec un seul geste d’un seul doigt de la main droite ! Cela n’est possible que pour les pizz. glissés, et en arpégeant les groupes de notes pouvant être joués en doubles cordes ou en accords (la main gauche reste dans la même position durant tout le geste). Ce deuxième cas donne un résultat très résonant. Au violon et à l’alto, sauf technique spéciale de l’interprète, seuls les gestes ascendants sont possibles ; ce n’est pas le cas au violoncelle et à la contrebasse.

• Ne sont pas concernées les petites liaisons qu’on peut utiliser pour figurer un pizz. résonant… même si leur effet, au moins au violon dont les pizz. sont désespérément courts, relève de la superstition.

Pizz. : jamais de staccato
• Croyant bien faire, plus d’un arrangeur ajoute des points de staccato sur les pizzicati. C’est une notation redondante, puisque le pizzicato est court par défaut. Cette notation absolument inusitée rendra l’instrumentiste perplexe : lisant des pizzicati avec points, il croira probablement qu’il lui est demandé de jouer des pizzicati spécialement courts, secs ou étouffés. Si c’est justement l’effet souhaité, mieux vaut de toute façon utiliser une indication textuelle, en ajout ou en remplacement.

Pizz. : simplifiez la longueur des notes
• Le pizzicato étant une note courte par défaut (un alto n’est pas une guitare), la longueur écrite des notes n’a aucune conséquence sur la durée de résonance. Il ne faut donc pas écrire de prolongations de durées.

• De façon plus générale, la durée écrite n’étant pas corrélée à la durée de résonance, il faut utiliser les valeurs rythmiques les plus simples à lire. On peut accepter des exceptions à cette règle, par exemple pour dénoter des notes particulièrement courtes, ou pour montrer précisément où le son est étouffé, en particulier pour les instruments graves dont la résonance en pizz. est longue.

• Enfin, on n’a pas l’habitude de voir des rondes en pizzicati, et selon le tempo, même les blanches peuvent paraître étranges au violon où la résonance d’éteint rapidement.
Ne faites plus l’erreur du barré
• Les quintes se jouent sans problème sur les instruments accordés en quintes. En revanche, les empilements de deux quintes ou plus (position de main gauche qu’on appellerait « barré » à la guitare) sont problématiques au violon et à l’alto, où ils réclament une position de main gauche très inconfortable.

Utilisez la clé optimale
• L’alto, écrit en clé d’ut 3, passe en clé de sol pour certains passages aigus. Le violoncelle, écrit en clé de fa, passe aisément en clé d’ut 4 puis en clé de sol, et la contrebasse est aussi habituée à ce système à trois clés.
• Les clés inadaptées sont une maladresse commune. Les instrumentistes sont capables de lire leur clé principale jusqu’à des notes aiguës, surtout dans une progression conjointe : inutile de changer de clé à toute occasion.

• Les clés secondaires sont utilisées pour les notes aiguës de l’instrument. Il est un peu maladroit de les employer pour des notes qui pourraient être lues dans la clé principale. Ainsi bien des violoncellistes ne savent lire en clé d’ut 4 que les notes du haut de la portée !

• Le reste du temps, le choix de la clé est celui qui demande le moins de changements. Éviter les clés d’ut peut être un confort pour le compositeur mais un mauvais choix pour l’instrumentiste.

Niveau 2 – Utiliser toute la palette des cordes
N’écrivez pas trop facile
• Il faut donner à manger aux violonistes. Un instrumentiste qui a commencé à apprendre l’instrument le plus ingrat au monde à six ans et a persévéré jusqu’à l’âge adulte s’attend à jouer vite et aigu, pas à tenir des rondes ni à compter des dizaines de mesures.
• Motiver un altiste ou un violoncelliste réclame aussi de ne pas rester constamment dans la facilité. La gratification minimale consiste à au moins explorer tout l’ambitus de l’instrument, des modes de jeu et des coups d’archet variés, et des rôles musicaux en évolution.
Ne castrez pas les interprètes
• La sourdine, le mode de jeu sul tasto et les harmoniques donnent de très beaux résultats. Toutefois leur emploi excessif, qui est un travers fréquent, lasse interprètes et auditeurs. Pour le musicien, ces trois modes de jeu représentent des restrictions des possibilités de l’instrument, de sa puissance certes, mais surtout de son expressivité. À la longue, ils peuvent donc lui faire ressentir une certaine frustration.
• Autre type d’écriture qui peut avoir un effet castrateur : aux cordes, les notes tenues forte sonnent plutôt plat ! Leur conduite est beaucoup plus difficile qu’avec un instrument de la famille des bois. Des notes répétées, des effets rythmiques, peuvent aider à soutenir les harmonies tenues.
L’écriture du haut n’est bien sûr pas interdite, et peut être tout à fait efficace en orchestre. Elle peut simplement donner aux instrumentistes, surtout en solo ou en petit ensemble, l’impression d’être impuissants face à l’intensité demandée.

• Sauf en orchestre, n’écrivez pas de nuance en dessous du pianissimo à moins d’être sûr de ce que vous faites. Vous imaginez peut-être un son diaphane et aérien ; vous risquez d’entendre un résultat frêle et gringalet ! Les instrumentistes auront quant à eux l’impression insatisfaisante de devoir se retenir de jouer. Vous pouvez remplacer la nuance extrême par un simple piano assorti d’une indication expressive bien choisie, par exemple « telle l’opalescente rosée qu’un souffle envole ».
Ne vous privez pas de la virtuosité par formules
La technique d’un instrumentiste à cordes comporte des formules idiomatiques, que le compositeur ou l’arrangeur peut voir comme des « tiroirs » qu’il n’a qu’à ouvrir. Malgré leur difficulté intrinsèque, ces tours de cabotinage sont déjà travaillés et acquis, fournissant des effets impressionnants à peu de frais et gratifiants pour l’interprète.
• Gammes et arpèges

• Coups d’archet : détaché rapide, spiccato, legato

• Trémolos des deux espèces, trilles. Les trémolos de la première espèce sont intéressants à toutes les nuances, et se notent en général sans aucune liaison.

• Rythmes complexes sur une même note ou une même position de main gauche

• Glissades à hauteurs fixées ou libres

• Octaves comme apogée d’intensité (surtout pour un 1er violon). Les octaves peuvent être jouées en doubles cordes ou être décomposées.

• Doubles-cordes exploitant une ou deux cordes à vide

• Comble de l’esbroufe : bariolages

Niveau 3 – Bonus
Après beaucoup de lignes passées à parler des erreurs les plus fréquentes, cette courte partie se permet quelques conseils pour progresser.
Lisez des parties séparées
• Plus que les partitions solistes, qui jouent souvent sur un niveau de difficulté extrême, la lecture des parties séparées de musique de chambre et d’orchestre est très formatrice. Leur difficulté est en général idéalement calibrée. Par rapport au conducteur, la partie séparée donne un aperçu de ce que voit l’instrumentiste, et permet d’apprendre ce qui est jugé jouable dans le corpus de la musique classique. L’IMSLP est une ressource inestimable pour la musique dans le domaine public, à compléter par d’autres sources pour la musique moderne et contemporaine.
• Pour se former à l’écriture la plus idiomatique dans laquelle baigne un instrumentiste issu d’un conservatoire, on peut lire les parties séparées des quatuors à cordes de Haydn, Beethoven, Mendelssohn, Ravel, Debussy ; les parties séparées des symphonies de Mendelssohn, Brahms, Tchaïkovski.
• En revanche, les partitions de Schumann, Strauss et Wagner sont ou bien assez maladroitement écrites pour les cordes, ou bien d’une difficulté particulière.
Pensez à utiliser les possibilités des doubles cordes
Les doubles cordes fait partie du langage des cordes. Elles ne posent pas de problèmes aux instrumentistes. N’hésitez pas à vous en servir souvent et connaissez ces différentes écritures typiques :
• Les bourdons (voix restant sur la même note) sont faciles à jouer, en particulier s’il sont sur une corde à vide. Si vous écrivez sur deux voix, n’oubliez pas que le rythme du bourdon doit correspondre au rythme du coup d’archet.

• Un accord forte, en fin de mouvement par exemple, sonne beaucoup mieux avec des doubles cordes, et encore mieux en accords.

• Les quintes parallèles sont fantastiques. Elles peuvent être enchaînées très rapidement au violon. Les violoncellistes les réalisent en barré et ne peuvent pas en jouer des successions trop rapides (il faudrait un démanché à chaque fois). Les altistes ne les portent pas dans leur cœur car leurs cordes sont assez espacées et leurs doigts pas toujours assez boudinés pour pouvoir appuyer sur deux cordes en même temps !

• Les bariolages peuvent se faire facilement en doubles cordes.

• Les cordes à vide (sauf la plus grave) peuvent être doublées à l’unisson, pour plus d’impact sonore (nuance forte) ou pour profiter de l’effet chorus.

Laissez le choix à l’interprète
• Il y a quelques cas où l’on est bien avisé de laisser l’interprète faire ses propres choix plutôt que de tout écrire sur la partition.
• En orchestre, les interprètes voient très facilement si un passage à deux voix doit être joué divisé ou non. Ne le précisez donc que si vous avez une idée précise, et en sachant que votre instruction ne sera pas nécessairement respectée. Si malgré tout vous voulez vous assurer qu’un passage soit joué divisé, pensez à utiliser des portées supplémentaires (cela évite bien des problèmes de lecture).

• À moins que vous ne soyez vous-même un instrumentiste à cordes d’un très bon niveau, laissez le choix des doigtés à l’interprète.
• N’indiquez la place d’archet que si vous savez ce que vous faites ; préférez des indications de caractère.
• Si les liaisons sont de votre ressort, le choix des coups d’archet doit en revanche être laissé aux interprètes. Trois exceptions notables, à écrire seulement sur le début du passage :

• L’indication ad lib. est magique, servez-vous-en ! Elle motive l’interprète à essayer quelque chose de difficile, à relever le défi.

Pour la musique contemporaine
Utilisez les modes de jeu spéciaux
• Utilisez et faites la promotion de ces modes de jeu :
- Sul pont. Tout le monde connaît cet effet, mais peu osent le réaliser pleinement, préférant faire grincer un peu le son sans aller vraiment près du chevalet. Une bonne pratique est d’insister en indiquant « sul pont. (molto) ».
- Pizz. Bartók. Ces pizzicati qui claquent sont faciles, à condition d’avoir du temps avant et après. Tous les instrumentistes ou presque les connaissent. Ils peuvent être réalisés à partir du mezzo piano en attrapant la corde près de son milieu, même si la plupart des instrumentistes les réalisent ff par défaut.
- Chopping. Effet rythmique très efficace, complètement inconnu de la plupart des instrumentistes à cordes et des compositeurs. Recherchez « chopping cello » ou « chopping violin » sur Internet. Incluez dans la partition une explication détaillée, accompagné d’un QR-code redirigeant vers une vidéo tutoriel. Cet effet est facile à réaliser, mais dans un passage rapide il réclame une virtuosité spécifique.
- Slap. Cet effet de percussion sur les cordes est très efficace au violoncelle.
- Non vib., molto vib. Ces effets ne posent aucun problème. On peut indiquer graphiquement l’amplitude du vibrato et la faire varier.
- Sur la caisse. L’instrumentiste tape de ses mains sur son instrument. Il est facile de trouver plusieurs hauteurs (corps, éclisses…). L’effet est spécialement intéressant au violoncelle et à la contrebasse, moins au violon et à l’alto. Sachez aussi comprendre qu’un interprète puisse avoir des réticences à frapper son del Gesù prêté par la veuve d’un richissime banquier, surtout si elle se trouve dans la salle le jour du concert.
- Écrasé. L’effet admet de nombreuses variantes, selon que la main gauche étouffe ou non les cordes, le type de grincement voulu, la position de l’archet (plus ou moins sur la touche). Vous pouvez être précis dans vos indications, mais attendez-vous à ce que le résultat varie d’un interprète à l’autre. Vous pouvez l’utiliser sur des notes tenues ou des notes courtes.

• Tous les effets ci-dessus sont des standards. Sauf maladresse d’écriture (par exemple passage trop rapide ou temps insuffisant pour changer de mode de jeu), il n’est pas admissible de s’entendre répondre « ce n’est pas jouable ».
Utilisez la scordatura à bon escient
• Les scordatura ne sont pas toujours appréciées des instrumentistes, qui doivent renoncer à tous leurs repères de doigtés.
• Sauf accord préalable explicite avec lui, ne demandez pas à un interprète de désaccorder une corde à plus d’un demi-ton au-dessus de la note nominale. En revanche, il n’y a pas de limite basse (les scordatura très graves donnent des effets étranges et intéressants).
• Les changements d’accord au milieu d’une pièce sont très problématiques : l’accord de l’instrument peut prendre un temps plus long que prévu, est propice aux accidents (cheville qui bloque – corde qui casse – corde qui se détend brusquement), et après un réaccordage la corde continuera à changer de hauteur pendant au moins deux minutes.
• N’utilisez une scordatura que si elle est nécessaire pour obtenir une sonorité particulière. Cela implique en général de se servir du son de la corde à vide.
• Réfléchissez avec l’interprète à la notation qu’il préfère entre sons entendus et sons joués. Dans le premier cas, vous avez seulement à écrire ce que vous voulez entendre, mais l’instrumentiste aura tous ses cheveux blancs le jour de la création. Dans le second cas, c’est vous qui devrez vous faire une teinture.

• Idéalement, prévoyez les deux versions. Cette solution est optimale et met tout le monde d’accord.

Faites le deuil des pizz. main gauche
• Tel qu’utilisé dans la musique virtuose (chez Paganini ou Wieniawski par exemple), l’effet est redoutablement difficile. Essayez de vous faire à l’idée qu’il ne faut pas l’utiliser.
• Quand votre deuil sera digéré, vous pouvez doucement vous remettre à les utiliser dans deux cas de figure et seulement ceux-là : les pizz. main gauche sur des cordes à vide (trois premiers exemples), et les gestes descendants uniques se commençant par une note piquée arco et se terminant sur une corde à vide.

Sur-divisez à vos risques et périls
• En orchestre, un pupitre se comporte comme un troupeau. Les départs sont donnés à tout le groupe par le chef de pupitre. Il est risqué de demander à chaque instrumentiste de faire un départ indépendant des autres. Étonnamment, cela vaut même pour des rythmes simples ; cette difficulté s’ancre dans la psychologie profonde des musiciens d’orchestre, qui ne sont pas des solistes. Gardez en tête qu’une sur-division dans un pupitre de cordes vous expose à un risque de décalage en concert évalué par les experts à environ 98 %.
• Si vous voulez tout de même sur-diviser un pupitre de cordes, prévoyez que les deux musiciens suivant sur un même pupitre aient des départs synchronisés. Ils pourront ainsi s’entraider pour partir au bon moment.

• En revanche, vous pouvez diviser autant que vous voulez si tout le groupe a le même rythme, un rythme similaire, ou tout au moins les mêmes départs.

Personne n’a de sourdine en plomb
• Vous pouvez tout à fait demander à un instrumentiste à cordes d’utiliser des ustensiles, mais le plus souvent vous devrez les fournir : dans sa boîte, un violoniste a son violon, son archet, sa colophane, une sourdine d’orchestre, un crayon et un coupe-ongles.
• Le son obtenu avec une sourdine en plomb est extrêmement maigre, et il faut beaucoup plus de temps pour la mettre et pour la retirer qu’avec une sourdine classique (trois à six secondes, contre une à deux secondes).
Le « col legno » ne tient pas toujours ses promesses
• L’effet « col legno » (jeu avec le bois de l’archet) désigne en réalité trois réalités bien distinctes : tratto, battuto et gettato.

• En écrivant « col legno battuto » sur sa partition, un compositeur s’attend en général à obtenir des espèces de petits pizzicati boisés et cliquetants. Pour ce qui est du tratto, il s’attend à entendre les notes avec un son affaibli, transformé et bruité.
• En réalité, sauf sur une corde à vide, le « col legno battuto » fait plutôt un petit « clic, clic » faiblard et agaçant, presque dépourvu de hauteur de notes – plus exactement, la hauteur de note écrite se mêle à deux hauteurs parasites correspondant aux deux portions de corde situées de chaque côté du point d’impact, et souvent aux cordes voisines qu’on ne peut empêcher d’être touchées au passage. Quant au « col legno tratto », le son est presque inaudible.
• Autre précision importante : la plupart des instrumentistes à cordes jouent avec un archet coûtant (à la louche) entre 1 500 et 6 000 euros. Si vous demandez un effet col legno, surtout assorti d’une nuance forte, ils considéreront à raison que leur archet va être abîmé et s’y refuseront. Dans le meilleur des cas, ils utiliseront l’archet en carbone acheté 100 euros sur Amazon et qu’ils gardent dans leur boîte pour les compositeurs dans votre genre. C’est tout à fait dommage pour le reste de votre pièce.
• Pour tout de même pouvoir profiter de ce très beau mode de jeu dans vos pièces, voici quelques conseils :
- Avec leur son faible et diffus, les effets col legno tratto et col legno battuto prennent tout leur sens à l’orchestre. Le battuto est beaucoup plus efficaces sur les cordes à vide, et en doubles cordes.
- Pour le « col legno battuto », demandez d’utiliser un crayon en bois. Il vaut environ 0,05 % du prix d’un archet, tout le monde en a un dans sa boîte (« pas d’crayon, pas d’carrière », disent les musiciens d’orchestre), l’objet est beaucoup plus maniable pour faire des rythmiques complexes, son rebond peut donner un son beaucoup plus puissant. Que des avantages ! Il faudra en revanche laisser plus de temps pour changer de mode de jeu. Divers autre objets peuvent donner des effets intéressants, en particulier les tiges en métal un peu lourdes.
- Oubliez le « col legno tratto » pour un musicien soliste non amplifié et pour les petits groupes de musique de chambre… à moins de souhaiter, et c’est votre droit, un son vraiment inaudible. Vous pouvez avantageusement le remplacer par l’indication « legno+crins » (à expliciter dans la notice ou sur place), qui demande à l’instrumentiste de frotter un peu de bois et un peu de crins simultanément sur la corde. L’effet est similaire au col legno classique, mais sonne un peu plus.
- Pour la notation, ma préférence personnelle va à « legno » plutôt qu’aux abréviations cryptiques du type « c.l.b. », encore inconnues d’une bonne partie des musiciens. Un intermittent du spectacle a déjà affaire à bien assez de sigles quand il doit s’occuper de renouveler son statut.
- Même si la plupart des compositeurs le font, il est inutile de préciser « battuto », « tratto » et « gettato » : cela prend de la place et du temps de lecture, alors que le reste de la notation rend clair le type d’effet voulu. Considérez ces trois termes comme le nom des effets, et comme dans l’exemple ci-dessous, gardez la notation « col legno », voire seulement « legno ».

La place des tournevis et du papier de verre est sur votre établi
• Notre violon vaut 30 000 euros, nous ne voulons pas taper dessus des triples croches fortississimo avec un manche de truelle.
• Seules les mains peuvent taper sur la caisse de l’instrument.
• Un jeu de cordes vaut entre 50 euros (violon, bas de gamme) et 300 euros (violoncelle, haut de gamme). Les objets coupants ou provoquant de l’usure sont à proscrire, à moins de vous entendre en amont avec l’interprète.
Scoop exclusif : personne ne joue les traits en quarts de tons
• Cette section a pour but de lever un tabou, un secret jalousement gardé par la communauté des violonistes.
• Personne ne joue les traits en quarts de tons, les instrumentistes font juste n’importe quoi avec leur main gauche en espérant que ni le chef, ni le compositeur ne leur demande de jouer le trait tout seul.
• Au sein d’un pupitre d’orchestre confronté à un traits en quarts de tons, le niveau de n’importe quoi obtenu peut dépasser tout ce que vous voulez imaginer.
• Un sondage à réponses anonymes vous apprendrait qu’une bonne part des instrumentistes à cordes ne savent pas ranger les cinq notes de gauche dans l’ordre ascendant, n’ont jamais vu les deux symboles du milieu, et ne trouvent pas la plaisanterie de droite amusante :

• Dans la plupart des cas, ces deux notations seront exécutées exactement de la même façon :

• Maintenant que vous avez compris le problème, voici quelques exceptions et nuances à apporter :
- Les quarts de tons ont plus de chances d’être bien réalisés dans les passages lents.
- Les quarts de tons ont plus de chances d’être bien réalisés s’ils correspondent à une déformation d’un mode connu, ou au moins à un mode fixe.
- Les quarts de tons ont plus de chances d’être bien réalisés s’ils sont écrits en prenant en compte les positions de main gauche.
- Vous pouvez continuer à écrire des traits en quarts de tons pour les ensembles habitués à la musique contemporaine et pour tous les solistes motivés.
- Vous pouvez continuer à écrire des traits en quarts de tons dans l’espoir de faire évoluer les pratiques, et qu’un jour le chef arrête l’orchestre en demandant : « Qui a joué un si demi-dièse ? J’ai demi-bémol sur le conducteur… »