Antoine Gabriel Brun – Écriture pour les cordes : mémo pour éviter les pièges les plus courants
En tant que compositeur ou arrangeur, vous avez probablement souvent à écrire pour des instruments à cordes. Si vous n’avez jamais touché un violon et voulez éviter de vous faire griller, cet article est fait pour vous !
Que ce soit en relisant des compositions et arrangements écrits par des collègues, ou en jouant des créations au violon, j’ai remarqué que tout le monde ou presque faisait le même genre d’erreurs. L’écriture pour les cordes est loin d’être simple pour un pianiste ou un trompettiste ! Ces imprécisions d’écriture sautent tout de suite aux yeux des instrumentistes à cordes lorsqu’ils ouvrent votre partition, et vous risquez fort de perdre tous vos jetons avant même qu’ils n’aient joué une seule note.
Cet aide-mémoire liste les erreurs les plus fréquentes, celles qui font dire aux interprètes : « Il ne sait pas écrire pour violon ! ». Je commence par les erreurs courantes à éviter absolument ; viennent ensuite des conseils plus avancés. L’article se termine sur quelques bonus (les petits plus qui devraient vous attirer l’estime et les faveurs de vos interprètes…) et des remarques spécifiques à la musique contemporaine.
Dans cet article : pizzicati – harmoniques – tonalités – liaisons – doubles cordes – accords – clés – sourdines – virtuosité – divisi – modes de jeu – quarts de tons – scordatura…
Niveau 1 – Comment ne pas se faire griller directement
Voici quelques pistes pour garder la face devant un pupitre de premiers violons.
Nous haïssons le sol bémol mineur
• Peut-être transcrivez-vous une pièce pour piano avec six dièses à la clé, êtes-vous en train de relever un morceau de pop en do bémol, ou encore trouvez-vous que seule la tonalité de mi bémol mineur peut rendre la nostalgie douloureuse qui traverse votre dernière composition.
• Cependant, pensez-y à deux fois avant de confier à des instruments à cordes une armure comportant plus de quatre dièses ou quatre bémols.
En effet, la sonorité des instruments à cordes est beaucoup plus résonante lorsque des cordes à vide vibrent par sympathie sur certaines des notes de la gamme. Sur un violoncelle, en do majeur les quatre cordes à vide peuvent vibrer… en mi majeur une seule, en si majeur ou en sol bémol majeur aucune.
Les tonalités qui sonnent le plus facilement sont celles dont la tonique est une corde à vide. On pourra avec profit s’intéresser aux tonalités choisies par J.-S. Bach pour ses Sonates et Partitas pour violon…
Envisagez donc toujours la possibilité de transposer votre morceau si cela peut aider les cordes à bien sonner.
• Au problème de la sonorité s’ajoute celui de la lecture. Une répétition d’orchestre peut devenir un calvaire pour un bémol de trop à la clé. Pour la lecture, le maximum habituel d’un cordiste moyen est aussi de quatre altérations à la clé, que l’on peut mener à cinq ou six seulement pour un mouvement assez lent. Signalons en passant qu’un si dièse grave peut encore laisser un altiste ou un violoncelliste démuni : la position visuelle de la note la plus grave de son instrument (à droite) est si ancrée…
• Si pour une raison ou une autre vous optez malgré tout pour une tonalité périlleuse (Strauss ou Wagner ne s’en privent pas), la moindre des choses est d’en être conscient. Envisagez sérieusement d’indiquer systématiquement des altérations de précaution sur les notes les plus altérées : les instrumentistes ne s’en plaindront pas.
Prenez 10 minutes et apprenez une fois pour toutes l’écriture des harmoniques
• Les harmoniques sont source de tellement de confusions (« Mesure 7, ça doit faire quelle note ? ») que la question fait l’objet d’une page dédiée dans la catégorie Ressources. Prenez donc dix minutes pour lire le mémo sur les harmoniques des cordes… ou renoncez aux harmoniques à jamais !
Mettez des liaisons partout
• Le piètre arrangeur se reconnaît de loin : sa partition pour violon ne comporte aucune liaison. Rappelons que lorsqu’un instrumentiste à cordes voit une mélodie sans liaisons, il joue tout détaché, avec un résultat haché et mal phrasé.
• L’autre erreur commune consiste à écrire de longues liaisons de phrasé comme on le ferait pour un instrument à vent. Les instruments à cordes ne comprennent que la liaison d’archet : chaque lié représente un changement de direction. Une liaison trop longue sera probablement coupée par l’interprète, mais la notation reste inadaptée. Redit autrement : aux cordes, n’utilisez jamais les liaisons pour indiquer un phrasé.
Cela peut se discuter à l’orchestre : une liaison longue peut indiquer que sur la phrase concernée, chacun des instrumentistes d’un pupitre coupe où bon lui semble sans s’occuper des autres.
• Des années de pratique permettent au cordiste de transcrire sans avoir à y penser les liaisons qu’il lit sur la partition en coups d’archets. N’arrêtez jamais d’écrire les liaisons sous prétexte qu’elles suivent un motif fixe, même en écrivant « simile », car l’interprète aurait alors un effort à faire pour contrer son réflexe de jouer détaché. En résumé et comme l’indique le titre : mettez des liaisons partout.
• Enfin, deux notes identiques consécutives ne doivent jamais se retrouver sous une même liaison de coup d’archet. L’instrumentiste ne saurait plus quoi faire : garder le coup d’archet indiqué (auquel cas on n’entend pas la répétition de la note), ou diviser la liaison écrite à l’endroit de la note répétée ? Vous devez faire le choix pour lui :
Ne refaites plus jamais ça
• Les instrumentistes à cordes trouvent déplaisant de lire une double corde dont les deux notes ne peuvent être jouées que sur la même corde. Leurs doigts se dirigent spontanément vers les deux notes en question, et dix millisecondes plus tard suit une puissante frustration : les deux notes ne peuvent pas être jouées en même temps ! Les musiciens qui n’ont jamais touché à un violon peuvent se représenter la chose comme essayer de marcher avec les deux jambes dans la jambe gauche du pantalon.
• Ce cas déplaisant se produit généralement quand le compositeur ou l’arrangeur demande de jouer simultanément deux notes qui sont plus basses que la deuxième corde la plus grave de l’instrument.
• Hors de ce cas de figure, tous les intervalles peuvent être joués en doubles cordes entre le demi-ton et (au moins) l’octave. Les violonistes vont jusqu’aux dixièmes, même si peu savent apprécier cet exercice d’étirement.
Finissez par une relecture spécifique pizz. et sourdine
À la fin de votre travail, reprenez chaque partie séparée de cordes en traquant les indications « pizz. », « arco », « con sord. » et « senza sord. ». Sauf si vous venez d’écrire un opéra, vingt secondes devraient vous suffire pour faire les trois vérifications suivantes :
• Aucune de ces indications n’a été oubliée, en particulier aux reprises.
• L’instrumentiste ne verra jamais « arco » alors qu’il est déjà en train de jouer à l’archet, ou « pizz. » alors qu’il est déjà en train de jouer en pizz. (cela se produit souvent à cause des copier-coller dans les logiciels d’édition musicale). Cette sensation est tout à fait désagréable, comme de voir le panneau « 70 – rappel » alors que vous roulez à 130 depuis vingt minues.
• L’instrumentiste a le temps nécessaire pour passer de pizz. à arco et d’arco à pizz. (il faut environ un quart de seconde) ; idem pour mettre et enlever sa sourdine (environ deux secondes, ou une seconde pour les athlètes). Les temps indiqués sont les minimums, une mesure de pause est la bienvenue.
Comble de raffinement, lorsqu’un passage qui a été joué en pizz. est plus tard rejoué arco, on peut indiquer « (arco) » pour signaler que le changement de mode de jeu est voulu et non pas dû à un oubli de copiste – de même dans l’autre sens et pour la sourdine.
Dans la page suivante, nous proposons quelques conseils plus avancés.