Niveau 5 – Pour la musique contemporaine
L’un des grands enjeux des musiques contemporaines est l’exploration de techniques instrumentales non standard. Voici quelques conseils spécifiques.
Utilisez les modes de jeu spéciaux
• Utilisez et faites la promotion de ces modes de jeu (les exemples musicaux correspondants se trouvent en dessous) :
- Sul pont. Tout le monde connaît cet effet, mais peu d’interprètes osent le réaliser pleinement, se contentant de faire grincer un peu le son sans aller vraiment près du chevalet. Vous pouvez insister en indiquant « sul pont. (molto) ».
- Pizz. Bartók. Ces pizzicati qui claquent sont faciles, à condition d’avoir du temps avant et après. Tous les instrumentistes ou presque les connaissent. Ils peuvent être réalisés à partir du mezzo piano en attrapant la corde près de son milieu, même si la plupart des instrumentistes les réalisent ff par défaut.
- Chopping. Effet rythmique très efficace, complètement inconnu de la plupart des instrumentistes à cordes et des compositeurs. Recherchez « chopping cello » ou « chopping violin » sur internet. Incluez dans la partition une explication détaillée, accompagné d’un QR code redirigeant vers un tutoriel vidéo. Cet effet est facile à réaliser, mais dans un passage rapide il réclame une virtuosité spécifique.
- Slap. Cet effet de percussion sur les cordes est très efficace au violoncelle.
- Non vib., molto vib. Ces effets ne posent aucun problème. On peut indiquer graphiquement l’amplitude du vibrato et la faire varier.
- Sur la caisse. L’instrumentiste tape de ses mains sur son instrument. Il est facile de trouver plusieurs hauteurs (corps, éclisses…). L’effet est spécialement intéressant au violoncelle et à la contrebasse, moins au violon et à l’alto. Sachez aussi comprendre qu’un interprète puisse avoir des réticences à frapper son del Gesù prêté par la veuve d’un richissime banquier, surtout si elle se trouve dans la salle le jour du concert.
- Écrasé. L’effet admet de nombreuses variantes, selon que la main gauche étouffe ou non les cordes, le type de grincement voulu, la position de l’archet (plus ou moins sur la touche). Vous pouvez être précis dans vos indications, mais attendez-vous à ce que le résultat varie d’un interprète à l’autre. Vous pouvez l’utiliser sur des notes tenues ou des notes courtes.
• Tous les effets ci-dessus sont des standards. Sauf maladresse d’écriture (par exemple passage trop rapide ou temps insuffisant pour changer de mode de jeu), il n’est pas admissible de s’entendre répondre « ce n’est pas jouable ».
Employez la scordatura à bon escient
• Les scordatura ne sont pas toujours appréciées des instrumentistes, qui doivent renoncer à tous leurs repères de doigtés.
• Sauf accord préalable explicite avec lui, ne demandez pas à un interprète de désaccorder une corde à plus d’un demi-ton au-dessus de la note nominale. En revanche, il n’y a pas de limite basse (les scordatura très graves donnent des effets étranges et intéressants).
• Les changements d’accord au milieu d’une pièce sont très problématiques : l’accord de l’instrument peut prendre un temps plus long que prévu, est propice aux accidents (cheville qui bloque – corde qui casse – corde qui se détend brusquement), et après un réaccordage la corde continuera à changer de hauteur toute seule pendant au moins deux minutes, parfois sur un demi-ton ou plus.
• N’utilisez une scordatura que si elle est nécessaire pour obtenir une sonorité particulière. Cela implique en général de se servir du son de la corde à vide.
• Réfléchissez avec l’interprète à la notation qu’il préfère entre sons entendus et sons joués. Dans le premier cas, vous avez seulement à écrire ce que vous voulez entendre, mais l’instrumentiste aura tous ses cheveux blancs le jour de la création. Dans le second cas, c’est vous qui devrez vous faire une teinture.
• Idéalement, prévoyez les deux versions. Cette solution est optimale et met tout le monde d’accord.
Faites le deuil des pizz. main gauche
• Tel qu’utilisé dans la musique virtuose (chez Paganini ou Wieniawski par exemple), l’effet est redoutablement difficile. Essayez de vous faire à l’idée qu’il ne faut pas l’utiliser.
• Quand votre deuil sera digéré, vous pouvez doucement vous remettre à les utiliser dans deux cas de figure et seulement ceux-là : les pizz. main gauche sur des cordes à vide (trois premiers exemples), et les gestes descendants uniques se commençant par une note piquée arco et se terminant sur une corde à vide.
Sur-divisez à vos risques et périls
• En orchestre, un pupitre se comporte comme un troupeau. Les départs sont donnés à tout le groupe par le chef de pupitre. Il est risqué de demander à chaque instrumentiste de faire un départ indépendant des autres. Étonnamment, cela vaut même pour des rythmes simples ; cette difficulté s’ancre dans la psychologie profonde des musiciens d’orchestre, qui ne sont pas des solistes. Gardez en tête qu’une sur-division dans un pupitre de cordes vous expose à un risque de décalage en concert évalué par les experts à environ 98 %.
• Si vous voulez tout de même sur-diviser un pupitre de cordes, prévoyez que les deux musiciens suivant sur un même pupitre aient des départs synchronisés. Ils pourront ainsi s’entraider pour partir au bon moment.
• En revanche, vous pouvez diviser autant que vous voulez si tout le groupe a le même rythme, un rythme similaire, ou tout au moins les mêmes départs.
Personne n’a de sourdine en plomb
• Vous pouvez tout à fait demander à un instrumentiste à cordes d’utiliser des ustensiles, mais le plus souvent vous devrez les fournir : dans sa boîte, un violoniste a son violon, son archet, sa colophane, une sourdine d’orchestre, un crayon et un coupe-ongles.
• Le son obtenu avec une sourdine en plomb est extrêmement maigre, et il faut beaucoup plus de temps pour la mettre et pour la retirer qu’avec une sourdine classique (trois à six secondes, contre une à deux secondes).
Le « col legno » ne tient pas toujours ses promesses
• L’effet « col legno » (jeu avec le bois de l’archet) désigne en réalité trois réalités bien distinctes : tratto, battuto et gettato.
• En écrivant « col legno battuto » sur sa partition, un compositeur s’attend en général à obtenir des espèces de petits pizzicati boisés et cliquetants. Pour ce qui est du tratto, il s’attend à entendre les notes avec un son affaibli, transformé et bruité.
• En réalité, sauf sur une corde à vide, le « col legno battuto » fait plutôt un petit « clic, clic » faiblard et agaçant, presque dépourvu de hauteur de note – plus exactement, la hauteur de note écrite se mêle à deux hauteurs parasites correspondant aux deux portions de corde situées de chaque côté du point d’impact, et souvent aux cordes voisines qu’on ne peut empêcher d’être touchées au passage. Quant au « col legno tratto », le son est presque inaudible.
• Autre précision importante : la plupart des instrumentistes à cordes jouent avec un archet coûtant (à la louche) entre 1 500 et 6 000 euros. Si vous demandez un effet col legno, surtout assorti d’une nuance forte, ils considéreront à raison que leur archet va être abîmé et s’y refuseront. Dans le meilleur des cas, ils utiliseront l’archet en carbone acheté 100 euros sur Amazon et qu’ils gardent dans leur boîte pour les compositeurs dans votre genre. C’est tout à fait dommage pour le reste de votre pièce.
• Pour tout de même pouvoir profiter de ce très beau mode de jeu dans vos pièces, voici quelques conseils (les exemples musicaux correspondants sont présentés au-dessous) :
- Avec leur son faible et diffus, les effets col legno tratto et col legno battuto prennent tout leur sens à l’orchestre. Le battuto est beaucoup plus efficaces sur les cordes à vide, et en doubles cordes.
- Pour le « col legno battuto », demandez d’utiliser un crayon en bois. Il vaut environ 0,05 % du prix d’un archet, tout le monde en a un dans sa boîte (« pas d’crayon, pas d’carrière », disent les musiciens d’orchestre), l’objet est beaucoup plus maniable pour faire des rythmiques complexes, son rebond peut donner un son beaucoup plus puissant. Que des avantages ! Il faudra en revanche laisser plus de temps pour changer de mode de jeu. Divers autre objets peuvent donner des effets intéressants, en particulier les tiges en métal un peu lourdes.
- Oubliez le « col legno tratto » pour un musicien soliste non amplifié et pour les petits groupes de musique de chambre… à moins de souhaiter, et c’est votre droit, un son vraiment inaudible. Vous pouvez avantageusement le remplacer par l’indication « legno + crins » (à expliciter dans la notice ou à proximité de l’indication), qui demande à l’instrumentiste de frotter un peu de bois et un peu de crins simultanément sur la corde. L’effet est similaire au col legno classique, mais sonne un peu plus.
- Pour la notation, ma préférence personnelle va à « legno » plutôt qu’aux abréviations cryptiques du type « c.l.b. », encore inconnues d’une bonne partie des musiciens. Un intermittent du spectacle a déjà affaire à bien assez de sigles quand il doit s’occuper de renouveler son statut.
- Même si la plupart des compositeurs le font, il est inutile de préciser « battuto », « tratto » et « gettato » : cela prend de la place et du temps de lecture, alors que le reste de la notation rend clair le type d’effet voulu. Considérez ces trois termes comme le nom des effets, et comme dans l’exemple ci-dessous, gardez la notation « col legno », voire seulement « legno ».
La place des tournevis et du papier de verre est sur votre établi
• Notre violon vaut 30 000 euros, nous ne voulons pas taper dessus des triples croches fortississimo avec un manche de truelle.
• Seules les mains peuvent taper sur la caisse de l’instrument.
• Un jeu de cordes vaut entre 50 euros (violon, bas de gamme) et 300 euros (violoncelle, haut de gamme). Les objets coupants ou provoquant de l’usure sont à proscrire, à moins de vous entendre en amont avec l’interprète.
Scoop exclusif : personne ne joue les traits en quarts de tons
• Cette section a pour but de lever un tabou, un secret jalousement gardé par la communauté des violonistes.
• Personne ne joue les traits en quarts de tons, les instrumentistes font juste n’importe quoi avec leur main gauche en espérant que ni le chef, ni le compositeur ne leur demande de jouer le trait tout seul.
• Au sein d’un pupitre d’orchestre confronté à un trait en quarts de tons, le niveau de n’importe quoi obtenu peut dépasser tout ce que vous voulez imaginer.
• Un sondage à réponses anonymes vous apprendrait qu’une bonne part des instrumentistes à cordes ne savent pas ranger les cinq notes de gauche dans l’ordre ascendant, n’ont jamais vu les deux symboles du milieu, et ne trouvent pas la plaisanterie de droite amusante :
• Dans la plupart des cas, ces deux notations seront exécutées exactement de la même façon :
• Maintenant que vous avez compris le problème, voici quelques exceptions et nuances à apporter :
- Les quarts de tons ont plus de chances d’être bien réalisés dans les passages lents.
- Les quarts de tons ont plus de chances d’être bien réalisés s’ils correspondent à une déformation d’un mode connu, ou au moins à un mode fixe.
- Les quarts de tons ont plus de chances d’être bien réalisés s’ils sont écrits en prenant en compte les positions de main gauche.
- Vous pouvez continuer à écrire des traits en quarts de tons pour les ensembles habitués à la musique contemporaine et pour tous les solistes motivés.
- Vous pouvez continuer à écrire des traits en quarts de tons dans l’espoir de faire évoluer les pratiques, et qu’un jour le chef arrête l’orchestre en demandant : « Qui a joué un si demi-dièse ? J’ai demi-bémol sur le conducteur… »