Antoine Gabriel Brun – Le Rêve d’Orphée (2023)
Le Rêve d’Orphée – pour voix, ensemble de treize solistes, bande, électronique décentralisée. C’est pour cette pièce que la Fondation Salabert m’a attribué son Prix de composition en 2023. Ci-dessous, la fantastique interprétation de la soprano Anaïs Merlin.
Le Rêve d’Orphée me tient particulièrement à cœur : cette pièce représente l’aboutissement de plusieurs années de recherches, notamment sur les thèmes de la synthèse sonore, de l’intégration entre sons électroniques et instrumentaux, de la composition générative, de l’écriture vocale.
Les parties d’électronique sont jouées par des interprètes sur scène, dans le but de favoriser le dialogue entre sons acoustiques et synthétiques. Les électroniciens sont ici des instrumentistes au même titre que les interprètes d’instruments traditionnels.
Cette œuvre est aussi une nouvelle étape de ma collaboration avec l’écrivain Édouard Forster, lequel a non seulement écrit le texte sur lequel est basée la pièce, mais aussi largement inspiré sa réalisation.
Voici les cinq mouvements qui structurent la pièce :
1. Prologue
2. Intermède I
3. *
4. Intermède II
5. Extase
Ci-dessous, la note de programme le jour de sa création en mai 2023.
Note de Programme
« Qu’est-ce que l’ineffable ? »
Posée lors d’un Concours général de philosophie il y a quelques années, cette question porte en elle une contradiction évidente, puisqu’elle invite à s’exprimer sur le sujet même de l’inexprimable.
Un paradoxe similaire m’a captivé dans le texte d’Édouard Forster, L’instant d’une ondulation. Ce texte inédit évoque un « son inaudible » que le narrateur perçoit avec intensité lors d’une expérience traumatique. Peut-être cette idée de son inaudible renferme-t-elle en puissance le fondement de tout projet compositionnel, si l’on voit en la création musicale la révélation par le compositeur et ses interprètes d’un « jamais entendu », rendant sensible un son encore inexisté.
Paisible un soir qu’il observe le soleil disparaître aux côtés de ses proches, le narrateur entre soudain dans un état de conscience modifié, frappé de ce son impossible. Subitement incapable de reconnaître les visages familiers qui l’entourent, il entame une descente dans les enfers de la déréalisation, état psychique de perte de la conscience de soi et du réel, dont il ne parviendra à sortir qu’après plusieurs années.
Bien que le texte original narre seulement l’instant de cette « déchirure » psychologique, j’ai ressenti le besoin d’en faire le récit musical d’une quête spirituelle. Transposant le récit vers le mythe antique d’Orphée, j’ai suivi sa descente aux enfers, faisant du moment irrémédiable de la mort le centre et le cœur de l’œuvre. Cependant, contrairement au texte, la pièce musicale ne s’arrête pas à la seconde de cette rupture : j’ai senti le besoin de poursuivre l’œuvre, esquissant une lente rédemption après cet instant – comme si la musique pouvait, à elle seule, convoquer guérison et délivrance.
Ces éléments m’ont conduit à écrire Le Rêve d’Orphée de manière théâtrale, voire opératique. J’ai ainsi ménagé une tension croissante jusqu’à l’hapax du « son inaudible », par une ouverture à l’esthétique asséchée et angoissante. Le matériau, minimal malgré la durée de la pièce, joue sur les ambiguïtés entre instruments et électronique, entre chant et bruitage ; il est conçu pour dessiner une lente conversion du malaise en émerveillement. Incarné par une voix de femme, le narrateur Orphée apparaît dans la pièce comme celui qui, encloué au rêve d’un passé perdu, trouve la force de renouer avec les vivants pour en témoigner par son chant, exprimant en musique ce qui est, en souvenir comme en paroles, ineffable.
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