Antoine Gabriel Brun – Un outil pour visualiser toutes les transpositions et comprendre les instruments transpositeurs
Le « Transpo » utilise deux claviers de piano mobiles pour visualiser simplement comment fonctionnent les instruments transpositeurs.
Les instruments transpositeurs
Lorsqu’un cor joue un do qu’il lit sur sa partition, on entend un fa. Cet instrument est dit transpositeur : les noms des notes lus sur la partition et les notes qui sortent réellement de l’instrument sont décalés. Dans le cas du cor, le décalage est d’une quinte vers le bas, et on dit que cet instrument est « en fa ».
Le cor partage son statut d’instrument transpositeur avec les clarinettes, les saxophones, certaines flûtes, et bien d’autres instruments, en grande majorité des instruments à vent.
Le saviez-vous ?
Le système des instruments transpositeurs a été inventé pour rendre la vie des compositeurs, des arrangeurs et des chefs d’orchestre moins facile. Il a pour autres fonctions de désengorger les conservatoires en réduisant le taux de réussite des jeunes musiciens aux examens de formation musicale, de dégoûter les adultes débutants qui souhaitent se mettre à la musique classique, et de dissuader les personnes jouant des instruments différents de faire de la musique ensemble. Enfin, il est spécialement efficace pour empêcher les instrumentistes concernés d’acquérir l’oreille absolue.
Plus sérieusement (mais à vous de choisir votre version préférée), les instruments transpositeurs sont surtout une commodité pour les interprètes jouant des instruments existant en plusieurs tailles.
Admettons par exemple qu’un saxophoniste joue, lors d’un même concert, du saxophone soprano, du saxophone alto et du saxophone ténor.
Ces trois instruments (comme tous les autres instruments de la famille) ont à peu près les mêmes doigtés : monter une gamme, par exemple, réclame les mêmes enchaînement de doigts.
Le problème est le suivant : avec leurs tailles différentes, ces trois saxophones sonnent à des hauteurs différentes ! L’interprète qui joue la même gamme (avec les mêmes doigtés) sur deux de ces instruments peut entendre, par exemple, une gamme de ré majeur sur le saxophone soprano et une gamme de sol majeur avec le saxophone alto.
Il reste deux choix au saxophoniste :
- renoncer à l’avantage des doigtés similaires, et apprendre les doigtés propres à chaque saxophone. L’instrumentiste apprend par exemple que le do se joue avec tel doigté sur un instrument, et avec tel autre doigté sur l’autre ;
- ou garder la correspondante note / doigté sur tous les instruments de la famille, quitte à ce que ce qu’il appelle un « do » sonne comme une note différente selon l’instrument.
Le deuxième choix simplifie la vie des interprètes, qui n’ont donc à apprendre qu’une seule série de doigtés pour tous leurs instruments. C’est ce qui est pratiqué entre autres par les saxophonistes, clarinettistes, flûtistes, trompettistes et hautboïstes.
Cependant, on peut noter que tous les instruments n’ont pas suivi ce principe ! Les flûtistes à bec, par exemple, jouent une famille d’instruments de tailles différentes, dont les gammes de base peuvent sonner en do majeur ou en fa majeur selon l’instrument. Mais leurs partitions sont toujours notées en ut (sans transposition, ou avec une simple transposition à l’octave) : c’est l’instrumentiste qui doit apprendre les nouveaux doigtés quand il passe de la flûte soprano à la flûte alto.
Ce contre-exemple montre que le caractère transpositeur ou non d’un instrument n’est qu’une question de conventions et d’habitudes.
On pourrait d’ailleurs tout à fait imaginer que le violon et l’alto, deux instruments qui se jouent de manière presque identique, soient notés de façon à conserver les doigtés lorsque l’on passe de l’un à l’autre. Dans ce monde parallèle, le violon resterait un instrument non transpositeur ; l’alto quant à lui serait noté en clé de sol, et sonnerait une quinte en dessous des notes écrites (l’intervalle qui sépare l’accordage des deux instruments). Cette option, que l’histoire de la musique n’a pas retenue, aurait peut-être rendu la frontière entre les deux instruments plus perméable, permettant à chacun de passer aisément du « violon soprano » au « violon alto », sans avoir à apprendre de nouveaux doigtés.
L’idée du « Transpo »
À l’origine, le « Transpo » (conçu avec ma compagne, souvent amenée à diriger des ensembles comportant des instruments hétéroclites) était pensé comme un objet physique : plusieurs disques de carton pouvant pivoter l’un par rapport à l’autre, et portant chacun les douze notes de la gamme. La rotation devait permettre de choisir la transposition à appliquer.
En créant ce site, j’ai eu l’idée d’en faire une application web. Le concept change, avec une présentation linéaire basée sur deux claviers de piano mobiles l’un par rapport à l’autre. Le but est de comprendre la logique des instruments transpositeurs, et de servir de mémo pour les transpositions les plus courantes.
Quels instruments et quelles transpositions ?
Dans le menu de l’application ci-dessus, on trouve les instruments transpositeurs les plus communs de l’orchestre symphonique : flûte alto en sol, clarinettes en si bémol et en la, famille du hautbois (hautbois d’amour en la et cor anglais en fa), trompette en si bémol, cor en fa, ainsi que quatre membres de la famille des saxophones (soprano et ténor en si bémol, alto et baryton en mi bémol).
Si votre instrument préféré ne figure pas dans la liste, le menu permet aussi de choisir une transposition sans indiquer d’instrument particulier. Vous pourrez ainsi aborder sereinement votre prochain double concerto pour pìob-mhòr et accordéon piccolo (respectivement en ré bémol et en la bémol).
La plus grande liste du web d’instruments transpositeurs se trouve sur la page en anglais « List of transposing instruments » de l’encyclopédie Wikipedia.
Les instruments transpositeurs sur le conducteur
Tout le monde est d’accord pour donner à chaque instrumentiste une partition dans la transposition qui est d’usage pour son instrument : hors de question d’écrire une partition en sons réels à un clarinettiste, qui devrait alors tout transposer mentalement. Mais qu’en est-il du conducteur d’une pièce pour orchestre, qui est destiné plus au chef qu’aux instrumentistes ?
Jusqu’au milieu du vingtième siècle, la norme était de noter chaque instrument dans sa transposition, y compris sur le conducteur. Pour toute la musique antérieure, le chef d’orchestre ou le lecteur de partitions est donc condamné à une certaine gymnastique mentale, que les multiples clés employées n’arrangent en rien.
Cependant, cet usage tend à changer, voire à disparaître. Une grande partie des pièces d’aujourd’hui présentent un conducteur en sons réels, c’est-à-dire avec les sons entendus. Ce changement est certainement lié à l’évolution des langages musicaux (pièces atonales ne nécessitant plus de définir l’armure avec laquelle joue chaque instrument), ainsi qu’à la généralisation des logiciels de gravure (un clic suffit pour passer de la version transposée à la version en ut).
Si vous optez pour cette nouvelle norme, pensez à l’indiquer sur le conducteur (« partition en sons réels », ou en anglais « score in C »).
Rappelez-vous aussi que dans ce nouveau système, bien plus simple pour le lecteur du conducteur, une nouvelle difficulté apparaît : le chef qui s’adresse à un instrumentiste ne peut plus lui parler des notes sans faire l’effort de transposition. Ainsi avec la partition en sons réels, le chef qui entend trop de cor sur le do doit-il lui demander poliment : « Pourriez-vous jouer moins fort votre sol ? »
Infos techniques
L’application est programmée en JavaScript et CSS. L’interface étant entièrement codée en SVG, j’ai conçu les graphismes dans le logiciel de dessin vectoriel Inkscape. Quant au dessin des claviers, il pose un intéressant problème : comment avoir à la fois douze touches régulièrement espacées par octave et sept touches blanches de même largeur ? Où l’on voit que le design si familier du clavier de piano n’est pas le fruit du hasard mais l’unique solution d’un problème géométrique…